L'IA comme facteur de risques psychosociaux
1. Les Facteurs de Risques Psychosociaux
Le rapport Gollac identifie six grandes catégories de facteurs qui peuvent générer des risques psychosociaux et affecter la santé mentale, physique et sociale des travailleurs.

Chaque catégorie est susceptible de générer, si elle est mal maîtrisée ou cumulée avec les autres, un effet délétère sur la santé (stress chronique, burn-out, troubles musculo-squelettiques aggravés, etc.). 
2. L'IA, un nouveau facteur de RPS ?
Mon article "Les grands modèles de langage et les nouveaux enjeux psychosociaux au travail: un défi pour la santé au travail" met en lumière comment l’intégration des grands modèles de langage (LLM) dans les entreprises transforme les conditions de travail et fait émerger ou amplifier des risques psychosociaux.
2.1 Intensité et temps de travail
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L’introduction de LLM ou d’outils IA peut accélérer les rythmes de travail: les salariés sont attendus à « aller plus vite », produire davantage, répondre plus rapidement aux requêtes ou à l’automatisation partielle. Cela peut réduire les marges entre les tâches humaines et automatisées, augmentant la pression temporelle.
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Cette accélération peut provoquer une intensification du travail, un sentiment de ne jamais « être à jour »...
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Exemple: un salarié qui utilise un assistant IA pour créer un rapport peut devoir ensuite le relire, l’amender très rapidement, et rendre un produit à un rythme plus soutenu, ce qui devient une source de fatigue, d’alerte permanente.
 
2.2 Exigences émotionnelles accrues
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Quand l’IA est intégrée aux tâches de relation (chatbots, assistants virtuels, gestion client automatisée), le salarié peut avoir à surveiller ou corriger les outputs de l’IA, à gérer l’interaction humain / machine, ce qui engendre des exigences émotionnelles nouvelles: vigilance, frustration, devoir « cacher » ses émotions face à l’imprévisibilité de l’IA ou aux erreurs.
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De plus, l’IA peut modifier le contenu de la relation au travail: par exemple, un agent de service client assisté par IA peut se retrouver dans des interactions plus complexes, à devoir gérer des clients irrités par un robot ou un système automatique, ce qui ajoute une charge émotionnelle.
 
2.3 Autonomie et marges de manœuvre réduites ou modifiées
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L’intégration de l’IA peut réduire la marge de manœuvre des salariés: les tâches sont prescrites, standardisées via des workflows IA, des recommandations automatiques, laissant moins de place à l’initiative humaine.
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l’IA peut « réorganiser les marges de décision », déplacer le salarié de l’exécution vers la supervision, ce qui peut être perçu comme une perte d’autonomie ou un déplacement de compétences sans contrôle.
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Ce glissement vers la «surveillance de l’IA» ou la correction d’erreurs peut aussi aller contre le développement des compétences ou la perception d’utilité de son travail.
 
2.4 Rapports sociaux / reconnaissance modifiés
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L’utilisation de l’IA modifie les relations entre collègues et avec la hiérarchie: plus de transparence et d’« audit » des tâches via IA, ce qui peut créer un climat de contrôle accru, de méfiance, de pression d’évaluation continue.
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Cela peut diminuer le sentiment de reconnaissance: si une tâche est automatisée , le salarié peut sentir que sa contribution n’est plus valorisée ou est dépréciée.
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Le risque de désintermédiation ou de modification de la structure hiérarchique via l’IA, peut déstabiliser les repères et accroître les tensions sociales.
 
2.5 Conflits de valeurs
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L’IA peut engendrer des situations où le salarié doit utiliser ou promouvoir des outils ou méthodes qu’il ne maîtrise pas, ou qu’il juge peu fiables ou contraires à ses valeurs (ex. loyauté envers le client, qualité, confidentialité).
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L’introduction de LLM peut poser des dilemmes éthiques: recours à un modèle IA dont les biais sont connus, exposition des données personnelles, responsabilité floue.
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Exemple: « Je dois générer un texte client via l’IA mais je ne peux pas garantir la qualité ou l’originalité » : conflit de valeurs entre «faire du bon travail» et «produire rapidement avec l’IA».
 
2.6 Insécurité de la situation de travail
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L’IA est souvent perçue comme une menace de remplacement ou de transformation radicale du métier: peur de devenir obsolète, de voir le rôle modifié drastiquement, de perdre le sens.
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Cette incertitude structurelle («mon métier va-t-il exister encore dans 5 ans ? vais-je devoir devenir manager de l’IA ? vais-je perdre mon statut ?») constitue une insécurité importante.
 
3. Effets sur la santé des salariés
Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), une exposition prolongée à ces facteurs peut engendrer divers troubles: difficultés de concentration, troubles du sommeil, irritabilité, fatigue importante, palpitations…
On observe, par exemple, que les salariés soumis à une forte demande psychologique présentent un risque doublé de développer un syndrome d’épuisement professionnel (burn-out).
L’exposition à des exigences émotionnelles élevées et à un manque de soutien social est associée à une augmentation d’environ 40 % du risque de lombalgies chez les salariés concernés.
En pratique, cela signifie qu’un contexte de travail où les RPS sont présents ou non maîtrisés ne touche pas seulement la santé mentale: il affecte aussi la santé physique (troubles cardio-vasculaires, douleurs musculo-squelettiques, fatigue chronique...) et la qualité de vie globale des travailleurs.
Références
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Gollac M, Bodier M. Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser. Rapport du collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail: https://travail-emploi.gouv.fr/sites/travail-emploi/files/files-spip/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf
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Broutin C. Les grands modèles de langage et les nouveaux enjeux psychosociaux au travail : un défi pour la santé au travail. Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement. 2025 Aug;86(4). Disponible à : https://www.em-consulte.com/article/1742980/article/les-grands-modeles-de-langage-et-les-nouveaux-enje EM Consulte+2EM Consulte+2
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Institut national de recherche et de sécurité (INRS). « Facteurs de risque — risques psychosociaux (RPS) ». Paris : INRS; dernière mise à jour 4 ans. Disponible à : https://www.inrs.fr/risques/psychosociaux/facteurs-risques.html
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Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Risques psychosociaux au travail et effets sur la santé des salariés: https://www.inrs.fr/header/presse/cp-expositions-psychosociales-effets-sante.html